RENOUVEAU DE LA RÉSOLUTION AMIABLE DES DIFFÉRENDS EN SUISSE par J. Mirimanoff
Les perspectives d’une justice plurielle selon le code de procédure civile suisse unifié (CPCS)
(Résumé)
De tout temps la résolution amiable des différends ( RAD ) a rencontré la faveur du peuple suisse, a empreint sa culture et a marqué même les étapes de son histoire.
Sur le plan interne, c’est une conciliation demeurée dans la mémoire de la conscience collective, celle de frère Nicolas de Flue, ermite respecté mais sans pouvoir, qui a évité une guerre civile entre les Confédérés. Son intervention a abouti à la signature par les Cantons suisses de la Convention de Stans ( 1481 ), qui rétablit la paix entre eux à l’issue des guerres de Bourgogne victorieusement menées contre Charles le Téméraire. Dans la démarche du saint ermite apparaissent déjà les conditions de la résolution amiable moderne : indépendance, impartialité, neutralité et humilité de l’intervenant, et confidentialité du processus.
Sur le plan international le Traité de Westphalie ( 1648 ), qui reconnait de jure l’indépendance des Cantons vis-à-vis de l’Empire, et qui est plus connu pour avoir mis fin à la guerre de trente ans, est lui-même issu de la plus longue et complexe médiation multilatérale de l’histoire occidentale. Elle fut confiée, pendant cinq ans, à l’ambassadeur de la République Sérénissime de Venise, demeurée neutre, Aloysius Cantarini, qui en a décrit le processus, dans lequel apparaissent les mêmes conditions précitées.
La neutralité de la Suisse, reconnue par les Puissances dans les Traités de Paris et la Convention de Vienne ( 1814-1815 ) permettra à notre pays d’offrir ses bons offices depuis lors et jusqu’à aujourd’hui, en Europe puis dans le monde. Elle inspira à son tour Henry Dunant, après la bataille de Solférino ( 1859 ), avec l’invention de la Croix-Rouge internationale dont les principes sont la neutralité, l’indépendance, l’impartialité, l’absence de pouvoir ( humilité ) de l’Institution et la confidentialité entourant son mode d’action. A certains égards on serait tenté de dire que les valeurs de la Suisse et de la résolution amiable se confondent.
Pourtant sur le plan interne, depuis la naissance de l’Etat fédéral et le formation de l’Etat de droit en 1848, l’ancienne médiation, marginalisée avec l’arrivée de la conciliation préalable obligatoire apportée par les institutions françaises ( Constituante de 1790 ), s’évanouit. Les codes de procédure civile des Cantons développent les règles de la procédure civile en accordant leur faveur au combat judiciaire, même si la conciliation garde une place importante parfois. Cent cinquante ans s’écoulent ainsi en formatant les modes de pensée et d’action des praticiens autour du règlement imposé : la procédure civile, et rejointe un siècle plus tard par l’arbitrage, qui peu à peu partagera avec elle les inconvénients ayant favorisé sa naissance: lenteur, complexité et coût élevé.
En proclamant que désormais » le règlement à l’amiable ( des différends ) a la priorité » ( message du Conseil fédéral du 28 juin 2006, p. 20, introduisant le projet de code de procédure civile fédérale suisse unifié ), le Gouvernement fédéral, suivi par les Chambres fédérales qui l’adoptent en décembre 2008, donnent d’une part à la conciliation une importance nouvelle en l’encourageant dans la tentative préalable puis à tous les stades de la procédure et d’autre part à la médiation une légitimation incontournable en la rendant possible en option avec la tentative préalable, puis à tous les stades de la procédure également.
Pourtant de nombreux obstacles doivent être renversés pour traduire l’injonction des Autorités fédérales dans la réalité quotidienne des juridictions, des Cantons et des Autorités fédérales elles-mêmes . Face à tant d’habitude du combat judiciaire il convient de dissiper trois craintes entourant la médiation : la peur de la nouveauté, celle de perdre son pouvoir ou ses ressources, peurs dont la capacité de nuisance pour la jeune médiation a failli lui coûté la vie lors des débats parlementaires sur le CPCS et l’a fait rayer du texte du code de procédure pénale suisse unifié, tandis que la médiation administrative s’est fait discrètement sa place à l’occasion de la réforme de la loi fédérale administrative peu avant.
La question essentielle à traiter les prochaines années , voir décennies, pour favoriser l’essor de la résolution amiable des différends en Suisse est celle des mesures de sa mise en œuvre, les Lignes directrices du Conseil de l’Europe (CEPEJ – 2007) No 13, 14 et 15 de décembre en constituant au demeurant un guide fort utile tant pour les Autorités tant fédérales que cantonales, pour le secteur public comme pour le secteur privé. A cela s’ajoute la nécessité d’instaurer dans les lois d’organisation ou dans les pratiques judiciaires des Cantons la connexion fonctionnelle qui manque actuellement entre la procédure et la médiation : les magistrats ou service de référence RAD / ADR. Le système institué par le législateur suisse ( comme celui de la France et de la Belgique, d’ailleurs ) ayant fâcheusement omis de la prévoir, ce qu’avaient fait les législateurs des Pays- Bas et d’ Etats américains. Mais c’est surtout en formant les nouveaux acteurs aux formes fructueuses de la négociation raisonnée et de la négociation collaborative dans les ateliers des Universités suisses et lors de la formation des avocats-stagiaires et des futurs magistrats que l’on parviendra véritablement à faire évoluer, en complément avec la justice traditionnelle, la manière de gérer les conflits, en pensant d’abord à la résolution amiable avant de saisir les tribunaux, ce que recommandait déjà Platon il y a quelque deux mille cinq cents ans.